21Jan

Le domaine public en danger

Par , 21 janvier 2012 | Société | 4 Commentaires

C'est le 18 jan­vier, jour du bla­ckout contre SOPA et PIPA, que la Cour Suprême des États-Unis a ren­du un avis qui sonne comme une gifle au domaine public et un pied de nez aux défen­seurs de toutes les liber­tés en confir­mant le droit du Congrès de s'arroger le pou­voir de faire appli­quer ou dépo­ser des bre­vets sur des œuvres ou tra­vaux rele­vant du domaine public.

Bref rap­pel des faits :

C'est le 1er jan­vier 1995 qu'entre en vigueur le Uru­guay Round Agree­ments Act (URAA) par une loi pro­mul­guée 3 semaines plus tôt par Bill Clin­ton. Cet acte du Congrès amé­ri­cain a pour but d'harmoniser la loi amé­ri­caine avec la pro­tec­tion des droits d'auteur à l'échelle inter­na­tio­nale. Aux États-Unis, l'un des résul­tats a été de réta­blir un copy­right sur les tra­vaux étran­gers fai­sant aupa­ra­vant par­tie du domaine public. Concrè­te­ment, cela signi­fie qu'à par­tir du 1er jan­vier 1995, aux États-Unis, jouer Pierre et le Loup de Poko­fiev est deve­nu poten­tiel­le­ment sou­mis au paie­ment d'une licence (à par­tir du moment où quelqu'un en achète les droits), tout comme les sym­pho­nies de Mozart, une par­tie de l'œuvre de H. G. Wells et des mil­lions d'autres biens cultu­rels fai­sant par­tie du domaine public. C'est à ce moment qu'un pro­fes­seur de musique du nom de Law­rence Golan s'est mis à tirer la son­nette d'alarme. Il sera par la suite à l'origine d'une péti­tion signée par de nom­breux artistes qui a fini par don­ner son nom, en 2001, à une pro­cé­dure de contes­ta­tion de consti­tu­tion­na­li­té de l'article 514 du URAA — celui qui rame­nait les œuvres du domaine public sous le joug du copy­right — accu­sé, à juste titre, de vio­ler la notion de limi­ta­tion de durée de la loi amé­ri­caine sur le copy­right et le 1er Amen­de­ment de la Constitution.
Après dix ans de bataille juri­dique, c'est à la Cour Suprême qu'est reve­nue la res­pon­sa­bi­li­té de tran­cher. Et c'est mer­cre­di der­nier qu'elle a ren­du son ver­dict, dans un docu­ment de 69 pages qui ne fait que répé­ter laco­ni­que­ment les avis pré­cé­dem­ment ren­dus : tant que le Congrès trouve ça bien, alors… c'est bien. Seule­ment deux juges se sont oppo­sés à la déci­sion sur les neuf que compte la Cour…

Et vlan ! Prends-toi ça, le domaine public !

On peut donc main­te­nant ache­ter les droits sur la musique de Stra­vins­ky, mettre Bach sous licence et fac­tu­rer la lec­ture de Sha­kes­peare. Mais pas que ! Il y a tel­le­ment d'œuvres dans le domaine public avec les­quelles les majors pour­ront se faire de l'argent ! On peut même ima­gi­ner qu'Apple ou Micro­soft se mettent à ache­ter les licences de tout ou par­tie de code ou logi­ciels appar­te­nant au domaine public et étant uti­li­sés par ou dans un sys­tème d'exploitation comme… GNU/Linux, par exemple. Ren­dant de fac­to l'utilisation de ce der­nier illé­gale. Eh oui, car­ré­ment ! L'impact sera grand aus­si sur les manuels sco­laires, car l'éducation devra payer pour repro­duire telle pho­to ou telle œuvre d'art. Et des exemples de ce genre, il y en a des milliers.

Ça n'a pas fait beau­coup de bruit… Un entre­fi­let dans Sla­sh­dot, un article dans Tech­dirt et dans Wired. Rien en France (edit : si en fait, qveenz en parle ici). Tout le monde était trop occu­pé à com­battre SOPA et PIPA, puis sous le choc de la fer­me­ture aus­si sou­daine qu'arbitraire de MegaU­pload. Bien que ça ne soit vrai­sem­bla­ble­ment qu'une coïn­ci­dence, si la Cour Suprême avait vou­lu évi­ter les vagues elle n'aurait pas pu faire mieux. C'est en tout cas très grave pour la culture et cela démontre si besoin est encore l'ineptie monu­men­tale qu'est la notion contem­po­raine de copy­right et sa dan­ge­ro­si­té pour les liber­tés fondamentales.

Alors que SOPA et PIPA sont bonnes pour aller se faire reto­quer, il serait naïf de croire que le com­bat peut ces­ser, ne serait-ce qu'une seconde : la Cour Suprême des États-Unis enfonce le clou, l'Union Euro­péenne s'apprête à signer ACTA ce 26 jan­vier. Il est impor­tant de s'élever contre ces atteintes, encore et encore, de ne jamais croire que la vic­toire est acquise. Les liber­ti­cides, à l'instar des cons, ne sont jamais en vacances.

Juge­ment de la Cour Suprême des États-Unis du 18 Jan­vier 2012

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